Questions & Answers | PV. Ljøl Nygård

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Feat. Ljøl Nygård

Si la vie ne vous apporte aucune réponse, c'est que vous n'avez pas posé les bonnes questions.

La main de Diane glissa sur le dossier, avant d’aller s’enfoncer avec tendresse dans les cheveux du petit garçon assis en tailleurs sur le lit du box. Elle eut un sourire et haussa un sourcil inquisiteur, avant de lever un index vers le petit bonhomme. Il avait la lèvre enflée et le nez empâté par le choc violent qu’il avait reçu, mais heureusement il n’y avait rien eu de grave. Aucun traumatisme et un nez en parfaite santé, outre l’hématome qui s’y développait maintenant – et une grosse frayeur de maman devant le saignement de nez faramineux que le bonhomme avait eu. C’était son cinquième patient depuis que le jour était levé, le sommeil ne semblait pas encore frapper à la porte de son esprit, alors elle se tenait prête à courir.

Heureusement, on vivait une journée relativement calme aux Urgences.

Et on ne joue plus avec les outils de Papa, me suis-je bien fait comprendre jeune homme ? Lança la doctoresse avec une voix douce mais ne souffrant aucune réplique, conservant pourtant un sourire amusé de connivence avec le petit patient. Le petit garçon eut un sourire édenté – cadeau du marteau avec le quel il avait joué un peu trop vivement, c'était heureusement une dent de lait, elle tomberait pour laisser sa place à une dent en bonne santé.

Diane tendit le dossier à l’infirmière avant de sortir de la pièce exiguë.

Si besoin, bipez-moi, je ne serais pas loin. C’était une façon de dire qu’elle allait prendre l’air

Il pleuvait aujourd’hui, un crachin froid et désagréable qui fit frissonner Diane alors même qu’elle n’était pas dessous, ses épaules s’arrondirent quand elle allongea ses enjambées dans les couloirs bruyants de l’hôpital. La nuit avait été longue et difficile, entre l’accident de moto et deux patients si alcoolisés que leur sang ressemblait presque en fluidité à de l’eau, elle n’avait pas eu le temps de dormir ou de prendre une pause. Quand le jour s’était levé, après l’heure sacrée de l’aube ou le temps avait semblé reprendre son souffle, il n’y avait eu depuis lors que cinq patients. Oui, elle considérait la journée comme calme, l’heure du déjeuner approchait lentement et elle savait d’avance qu’elle préfèrerait dormir que manger, mais avant toute autre chose il était temps de s’octroyer une cigarette – elle fit un rapide détour par l’office ou elle récupéra ses cigarettes qu’elle enfonça dans la poche de son pantalon.

Vêtue de sa blouse blanche de docteur, tombant mi-cuisse, des poches de laquelle dépassaient un stéthoscope, des ciseaux et plusieurs stylos, elle passa les portes du sas pour se retrouver dans les couloirs publics, se dirigeant vers la porte principale en replaçant une mèche de ses cheveux noirs derrière son oreille. L’entrée réservée aux visiteurs avait un avantage certain, la présence de bancs à l’extérieurs – inutilisables par ce temps, certes, et surtout la présence de deux gros cendriers. Elle passa ses mains sur le devant de sa blouse, bleu ciel tirant sur le lavandin, son pantalon étant de la même couleur insipide, sur sa poitrine, épinglée au revers de sa blouse blanche se situait un badge ou était inscrit son nom et son rôle.

« Dr D. Needham, Urgences. » C’était simple et concis.

Elle s’éloigna de quelques pas de l’entrée, s’abritant sous un arbre pour allumer sa cigarette et en prendre une longue bouffée qui lui irrita la gorge. Il faudrait qu’un jour elle arrête avant de finir sur le même lit que sa mère. Elle continua de tirer régulièrement sur ce bâton de la mort, plongée dans ses pensées, les épaules relâchées et ses yeux verts perdu dans les allées et venues. Elle était plongée dans un état de semi-veille dû à sa fatigue quand elle releva le nez en entendant son nom.

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Feat. Ljøl Nygård

Si la vie ne vous apporte aucune réponse, c'est que vous n'avez pas posé les bonnes questions.

Quand son visage se releva, elle se heurta à une vision qui semblait familière.

Quelque chose qui dans le temps s’était vaguement inscrit dans sa mémoire, une sorte de créature éthérée dont elle avait vague souvenir, ensanglanté sur un brancard et tuméfié jusqu’à en être méconnaissable. Laissé pour mort, abandonné dans une ruelle, en pâture pour le monde cruel. Ce n’était pas si courant de recevoir de tels patients, en pleine nuit, quand il n’y avait pas d’explication claire à son état – ni témoins, ni preuves, ni rien, juste les coups et les traces. Elle acquiesça doucement en réponse à son nom, ses épaules se déroulèrent doucement et elle adopta une posture ouverte et accueillante – non seulement par réflexe mais aussi par instinct.

Je me souviens, je constate avec plaisir que physiquement cela semble aller mieux que cette nuit-là. Nota simplement la jeune femme, affichant un sourire – qu’elle ne voulut ni compatissant, ni joyeux, de telle façon qu’elle eut étrangement l’air d’un chat pendant quelques instants.

Elle le détailla du regard sans y appliquer aucun jugement, simplement pour se remémorer des souvenirs, comme pour authentifier lesdits souvenirs que son subconscient lui renvoyait avec force de détails. Les fines cicatrices sur son visage d’ange, ses yeux remplis d’un questionnement qui serra l’estomac de Diane. Elle fixa sa montre pendant quelques secondes puis se décida en jetant un œil au bipper suspendu à la ceinture élastique de son pantalon. Bien sûr, je serais ravie de répondre à vos questions. Indiqua la doctoresse de sa voix la plus posée.

Elle se souvenait et souffrait intérieurement, dans le plus grand des silences.

Elle avait clairement écrit sur le dossier, qu’elle avait remis au médecin qui l’avait ensuite pris en charge, qu’il y avait de lourdes séquelles corporelles, outre les cicatrices qui couvraient en grande partie son corps – des implications de viols et d’abus qu’elle avait noté noir sur blanc. Et qu’il y aurait de lourdes séquelles mentales si pas plus – elle avait longuement discuté avec le neurologue et avait bien compris que si le jeune homme avait été transporté aux urgences quelques minutes plus tard… Hé bien il aurait fallu remettre en question sa survie plus que cela n’avait été déjà le cas lors de son arrivée.

Un frisson lui redressa les poils de son dos, elle écrasa sa cigarette dans le cendrier adjacent.

Elle hésita à lui proposer de la suivre dans son bureau – c’était un endroit plus discret pour parler de ça, mais elle regrettait déjà l’idée que la pièce exiguë ne lui donne quelques sueurs froides. Malgré la présence rassurante d’une machine à café et d’une immense photo de plage normande, la petite pièce n’était pas vraiment la plus accueillante du monde, croulant sous les dossiers et l’odeur persistante de café froid. Elle était aussi vaguement surprise, elle s’attendait à ce que ses collègues aient expliqué à ce jeune homme les tenants et aboutissants de ses blessures, car aussi cruel que c’eut été, il méritait la vérité sur son état. Surtout que même si lui ne se souvenait pas, son subconscient se souvenait pour lui non ? Elle n’avait qu’eu vent de l’amnésie, elle ne connaissait pas toute les ficelles de cet état et le regrettait amèrement.

Pour autant, elle tenait à se comporter le plus poliment et le plus normalement du monde.

Tant que ceci,  et elle pointa le biper à sa ceinture, ne sonnera pas, je suis à votre disposition Mr Nygård. Elle n’était que le médecin de garde, un autre médecin avait pris le relai aux horaires de jour, elle n’était plus seule à demeurer aux urgences et elle douta qu’on la bipe – sauf en cas d’absolue nécessité. Si vous le souhaitez nous pouvons aller en parler dans mon bureau, ou rester ici, c’est pour votre confort. Indiqua aimablement Diane en ajoutant ses longues mains à ses paroles pour appuyer son propos.

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Feat. Ljøl Nygård

Si la vie ne vous apporte aucune réponse, c'est que vous n'avez pas posé les bonnes questions.

Diane sentit son estomac se nouer légèrement.

Elle acquiesça et lui indiqua du menton et des mains de la suivre dans le dédale de couloirs, les couloirs publics bondés laissèrent place au sas des urgences et au long couloir où se trouvait l’office et les bureaux des médecins assignés aux urgences. Le neurologue n’avait pas voulu tout lui dire, et elle se demanda brièvement à quel point il ne savait pas, à quelle mesure il ignorait les sévices qu’il avait subi. Elle sortir de sa poche un trousseau de clé, aux utilités diverses et variées, et déverrouilla une porte sur laquelle brillait une petite plaque indiquant son nom. En entrant elle fut frappée par l’odeur familière de café froid et de papier, un filet d’alcool à désinfecter complétait l’odeur de son bureau, dans lequel elle guida le jeune homme, l’invitant à prendre place sur une chaise.

Elle se dirigea vers la cafetière encore chaude et servit deux gobelets sans se préoccuper de savoir si son interlocuteur aimait cela – la fatigue pointait peut-être un peu son nez, elle aurait pu lui proposer un thé mais n’en eut pas l’idée. C’est lorsqu’elle fit demi-tour pour poser les gobelets en plastique sur le bureau, enseveli de dossiers, qu’elle se figea un bref instant dans son mouvement.

Un accident ? Articula-t-elle lentement, sa voix lui paraissant même étrangère lorsqu’elle prononça ce mot. Elle déposa délicatement les gobelets sur le bureau et en s’asseyant dans son fauteuil à haut dossier tira de son tiroir du sucre en sachets colorés et des touillettes en bois. Un accident ? Un accident, elle l’admettait aurait pu produire cette fracture du crâne et cette hémorragie.

Mais le reste ? C’était impossible.

C’est tout ce que l’on vous a dit ? Demanda-t-elle d’une voix calme, ignorant le sang qui commençait à bouillir dans ses veines. Elle se mordit la lèvre brièvement avant de se pencher en avant sur son bureau, y joignant ses mains en écoutant avec une attention redoublée les dires de son ancien patient.

Il avait été laissé pour mort.

Brisé physiquement et peut-être même psychologiquement, elle n’en savait rien mais les sévices qu’il avait subi dépassaient de loin les traces qu’elle avait trouvé sur son corps meurtri. Entre les plaies et les hématomes, il y avait des morsures, en poussant la recherche elle avait trouvé trace d’un viol, violent et peut-être même répété. Quelque part, elle se demanda si le neurologue n’avait pas voulu éviter un choc violent à son patient, mais d’un autre s’il cherchait des réponses c’était que quelque part il savait que ce n’était pas qu’un accident.

Mr Nygård, je ne connais pas les raisons de votre neurologue mais… Effectivement ce n’est pas un simple accident qui a causé tout cela. Débuta Diane en prenant d’immenses précautions, elle ne voulait pas le brusquer mais savait qu’il serait immanquablement choqué – elle mit néanmoins l’emphase sur le mot accident. C’est une agression, dit-elle d’une voix extrêmement douce, une grave agression physique.

Elle attrapa du sucre sur le bureau et le versa à contrecœur dans son café noir, ignorant le rebut du goût sucré pour se concentrer sur l’énergie que le saccharose allait lui fournir pour cette discussion que serait à n’en pas douter éprouvante pour les deux parties. Comment on explique à un jeune homme qui ne sait pas ce qui lui est arrivé qu’il a été violé, torturé, puis abandonné dans une ruelle pour y mourir supposément. On ne sait jamais comment expliquer ce genre de choses, Diane s’adossa soudainement à son fauteuil et fixa ses yeux verts sur son interlocuteur, épiant ses moindres réactions et prête à cesser l’entretient si nécessaire.

Est-ce que vous voulez… des détails ? Je ne vous en dirais plus qu’avec votre accord. Annonça la doctoresse avec une voix calme et sereine, cachant toute la tornade qui s’enfonçait dans son esprit, entre la fatigue et l’inquiétude.

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Feat. Ljøl Nygård

Si la vie ne vous apporte aucune réponse, c'est que vous n'avez pas posé les bonnes questions.

Diane ne pipa aucun mot, elle se contenta d’afficher un visage le plus serein possible en acquiesçant en silence. Elle ne l’interrompit pas une seule fois, même pour exprimer une sympathie sincère. Elle préféra le laisser se livrer et se soulager de ses questions afin qu’elle puisse y apporter des réponses, même si ces réponses, elle le craignait, apporteraient d’autres questions.

Elle plongea son regard dans le café noir qui tournait au fond de son gobelet, s’accordant encore quelques secondes de silence.

Intérieurement, son esprit méticuleux bouillonnait de rage, comment devait-on se sentir quand on réalisait qu’on nous avait menti sur un sujet aussi grave ? Elle aurait le temps de se consacrer à cette question bien plus tard, elle reposa le gobelet sur son bureau et posa ses bras sur les accoudoirs de sa chaise. Elle éclaircissait son esprit en reprenant son rôle de médecin, elle devait informer le jeune homme en toute honnêteté et elle allait le faire. On pourrait croire qu’elle marcherait sur les plates-bandes de son collègue neurologue en faisant cela, mais elle n’en avait sérieusement rien à faire, il avait menti et elle n’aimait pas les menteurs.

Dans ce cas, si vous voulez tout savoir, commençons par le début… Du moins résumons au mieux cette nuit chaotique. Diane pris une gorgée de café et regretta de ne pouvoir fumer – ou allonger son café avec un trait de whisky. Elle bougea sur sa chaise et joignit ses mains devant elle, toujours adossée à son siège qui maintenant lui semblait hérissé de pointes. Vous avez été amené à 3h50 du matin par les pompiers, dans un état plus qu’alarmant. Commença la doctoresse d’une voix impassible. Inconscient, fracture du crâne et de la mâchoire, grave hémorragie, multiples plaies ouvertes sur le corps, multiples hématomes – perte massive de sang également. Je vous ai aussitôt placé en salle de déchocage, l’urgence fut de stabiliser votre hémorragie, de vous transfuser, ainsi que de refermer vos plaies les plus graves. Avec deux infirmières nous y avons passé près d’une heure avant de vous emmener passer un scanner crânien et de vous confier aux soins d’un neurologue… Les sauveteurs avaient déjà fait un énorme travail, grâce à eux vous avez survécu.

Diane raconta cela d’une voix très douce, articulant clairement et d’un air parfaitement professionnel, revivant les évènements tout en les contant. Elle se revoyait compter les plaies, suturer certaines et annoter avec une infirmière un schéma de corps humain. Elle se revoyait faire appeler le médecin de garde cette nuit-là pour la relayer aux urgences tant qu’elle s’occupait de ce patient. Elle se revoyait avec ses infirmières tourner le corps tout en douceur afin d’inspecter la moindre parcelle de peau, la plupart n’ayant pas été épargnées. Certains avaient dit que le jeune homme n’aurait pas passé la nuit sans l’intervention de Diane et ses talents en traumatologie, mais elle estimait que le plus urgent avait été fait avec diligence par les pompiers sur place avant le transport.

Et elle avait parfaitement raison – sans eux, il serait mort.

Maintenant venait le moment qu’elle redoutait, expliquer qu’elle avait – alors qu’il était inconscient, inspecté son corps de fond en comble pour vérifier que toute plaie, hématome, blessure possible avaient été éliminées. Elle se tordit légèrement les mains avant de les plaquer contre son bureau sans un bruit, pour les empêcher de gigoter.

Les traces de torture, de viols répétés, de sévices corporels.

Mr… Vous avez été la victime de graves sévices corporels, j’ai noté des traces de torture physique, procurée par des objets tranchants, des blessures provoquées à mains nues, des lacérations profondes, ainsi que les traces de viols répétés. Sa voix devint un filet léger, flottant paresseusement dans le silence étouffant de la pièce, elle guetta toute réaction de son interlocuteur afin de prévenir une crise quelconque.

Elle ne demanda pas s’il allait bien, elle venait de lui annoncer l’horreur qui avait causé son état actuel.

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Feat. Ljøl Nygård

Si la vie ne vous apporte aucune réponse, c'est que vous n'avez pas posé les bonnes questions.

Diane se leva lentement de son siège, sans aucun geste brusque elle tira du tiroir un lot de serviette en papier récupérées sur ses plateaux repas et essuya posément les quelques minces éclaboussures de café de son bureau. Elle ne montra aucune émotion particulière, chercha à rester la plus neutre possible en toute circonstance, surtout dans ce cas précis en vérité.

Elle ramassa le gobelet vide et le déposa dans la corbeille à papier à côté de son bureau et en fit lentement le tour, mesurant ses pas et ses gestes pour ne pas effrayer son ancien patient, elle tira la seconde chaise et s’assit dessus. Elle voulait lui montrer, sans trop en faire toutefois, qu’elle était là s’il en avait besoin, mais qu’elle ne s’imposerait pas. Elle laissa sa main molle sur les accoudoirs et attendit quelques instants, assise sur le bord de la chaise et prête à agir si elle le devait. Le rire qu’il avait lui retourna l’estomac, c’était un rire creux, vide et distordu, qui résonnait dans son bureau d’une teinte âcre et maussade.

C’était un rire de souffrance et de peine, un rire de réalisation, nerveux et creux.

Diane préféra ne pas le toucher, elle venait de lui annoncer qu’on avait touché à son corps sans sa permission, alors elle ne posa pas de main sur son épaule, ni sur son bras. Elle entrelaça ses doigts sur ses genoux et resta penchée légèrement vers lui, sans pour autant l’envahir.

Elle savait que quelle que soit la question qu’elle lui poserait, il répondrait par la négative – bien entendu qu’il n’était pas bien, bien entendu qu’elle ne pouvait rien y faire, bien entendu que rendu à ce moment précis il était de nouveau seul avec les faits et sa souffrance. Et Diane en était malade, quoi qu’elle conservât un visage impassible, elle était rongée par la souffrance qu’elle ne pouvait pas soigner, pire elle en était la cause aujourd’hui. Ce jeune homme n’avait rien demandé et un monstre l’avait démoli, mentalement et physiquement, ça la rendait malade, malade et enragée.

Je suis désolée, même si ça ne change rien, de vous l’apprendre de cette manière... Osa enfin dire la doctoresse en affichant un mince sourire désolé, elle n’esquissa pas le moindre mouvement et se contenta d’attendre que ce rire cesse, ce rire qui hanterait sûrement de prochains cauchemars anxieux.

Elle reprit une position plus calme, se réadossant à son siège et croisant ses longues jambes, inspirant profondément elle expira doucement entre ses lèvres pour éviter de perdre son calme. Elle devait rester très professionnelle, elle était devant un patient venu lui demander ce qui s’était passé, elle avait répondu, tout devait s’arrêter là en principe.

Elle n’imaginait même pas l’horreur qui devait se dérouler dans son esprit.

Elle rouvrit la bouche, de sa voix la plus sereine, la plus calme, elle osa énoncer quelques mots supplémentaires. Si vous en ressentez le besoin, pleurez, soyez en colère, tout ce qui se passera ici y demeurera. Assura-t-elle d’une voix calme et assurée, consciente au comportement du jeune homme qu’il avait besoin d’évacuer dans un premier temps la nouvelle, consciente aussi que c’était une pilule difficile à avaler.

C’était une façon de lui dire qu’il pouvait rester aussi longtemps qu’il le désirait pour reprendre ses esprits, qu’il était libre de lui demander n’importe quoi en supplément d’information – même si Diane douta qu’il y ait quelque chose de plus à dire.

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Diane s’attendait à ce genre de réaction – pas totalement, mais c’était prévisible. Diane surnommait cela le symptôme du Survivant, avec de nombreuses facettes dans son esprit ce symptôme relevait des échappés belle, le reflet actuel renvoyait un profond regret d’être en vie et d’avoir vécu ce qu’il avait vécu. Dans un sens elle comprenait, elle ne survivrait pas si cela devait lui arriver, déjà au bord d’un abysse insondable elle y plongerait librement si on en venait à violer le temple de son corps. Elle frissonna brièvement, à ce qu’elle entendait tout semblait normal et il réagissait plutôt bien à la nouvelle si on estimait que l’on pouvait bien réagir à ce genre de choses.

Elle hésita longuement sur la réponse à donner, se demandant s’il ne valait mieux pas garder le silence. Elle admit qu’en tant que médecin, entendre un patient émettre le souhait d’avoir préféré mourir lors de ce genre d’évènement n’était pas une première. Beaucoup de patient, certains plus vindicatifs que d’autres lui avaient dit cette phrase horrible et glaciale : vous auriez dû me laisser mourir. Comme si tout ce travail cette nuit là n’était rien, comme si ce qu’ils traversaient n’était rien, comme si la souffrance de leur médecin n’était rien non plus. Comme si tout cela était de leur faute au final et ne l’était-ce pas un peu en vérité ?

Mais elle comprenait, elle comprenait et son rôle n’était pas d’émettre quelconque jugement.

Je ne suis ni Juge, ni Bourreau, je suis un médecin et mon rôle est de sauver les vies en danger que l’on amène dans mon service. Annonça doucement Diane, prenant le soin de ne pas prendre un ton hautain ou froid, mais le plus placide du monde.

Elle ne faisait qu’énoncer une vérité nue, dure et cruelle comme toutes les vérités. Elle ne savait que rarement ce qu’il advenait de ses patients, parfois un de ses confrères venait la mettre au courant par la suite, mais mis à part les transmissions classiques, rien de plus ne venait étayer ses inquiétudes. Parfois, durement, elle apprenait la mort d’un patient qu’elle pensait avoir sauvé, alors qu’en vérité elle n’avait que retardé sa fin. Alors l’entendre dire qu’il aurait préféré mourir c’était douloureux à entendre.

Elle replaça une mèche de ses cheveux avant de poursuivre d’un ton égal. J’ai prêté serment, comme tout mes confrères, de sauver des vies… la vôtre y compris.

Elle y consacrait sa vie, son âme et sa santé, un jour cela pourrait la tuer elle en était consciente. Elle était également consciente qu’elle ne pouvait pas émettre d’avis ou de jugement, elle n’était pas à sa place et elle voulait conserver une parfaite neutralité. Elle n’avait pas qu’énoncé la vérité à un patient qui avait besoin de l’entendre, qu’importe les conséquences. Elle avait fait ce que ce neurologue aurait dû faire en vérité, elle aurait dû faire ce qu’elle s’était imposé, elle lui en voulait affreusement d’avoir caché la vérité à ce jeune homme.

Elle avait fait son devoir donc, car il était maintenant informé et fort malheureux.
Cela ne lui apportait aucune satisfaction, bien au contraire.
Elle avait la nausée et une puissante envie de boire.

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Si la vie ne vous apporte aucune réponse, c'est que vous n'avez pas posé les bonnes questions.

Diane était soudainement fatiguée, la discussion avait été, de son côté du moins, plutôt supportable – mais pas les réactions de son ancien patient. C’était aussi peut-être sa garde qui lui minait l’esprit, elle songea à rentrer, puis chassa cette idée elle devait terminer sa garde et s’assurer que tous ses patients étaient stables en déchocage. Si elle était blessée moralement, elle ne le montra pas le moins du monde, comprenant les raisons du jeune homme en dépit de toute logique personnelle. Il était dépossédé de tout, de son corps et de son esprit, il cherchait maintenant une issue et celle de la mort lui semblait sûrement plus simple – il aurait fallut mourir, ainsi sûrement ne souffrirait-il pas. Mais il aurait laissé souffrir les gens autour de lui, un compagnon par ailleurs, puis songeait-elle, ç’aurait été laisser gagner son agresseur de mourir et laisser gagner une pourriture pareille n’était jamais bon. Elle se leva sans un mot, conservant ses pensées pour elle-même et ouvrit un tiroir de son bureau, elle farfouilla quelques secondes au milieu avant de sortir une carte de visite d’un de ses collègues.

Elle se contenta d’acquiescer avec douceur, consciente que malgré les remerciements il finirait sûrement par l’associer à de très mauvais souvenirs. Elle ne doutait pas qu’il garderait pendant très longtemps un ressenti envers elle pour l’avoir sauvé et pour lui avoir annoncé le pire. Elle en voulut de nouveau à son collègue et se jura d’avoir une discussion très sérieuse au sujet de l’éthique et du serment qu’ils avaient prêté.

Je comprends, elle fit le tour du bureau et lui tendit la carte de visite. Mon confrère à la particularité de consulter sur le site de St-Thomas et en cabinet dans Londres, vous pourrez choisir ce qui vous arrange, l’adresse et le numéro de son secrétaire son inscrit au dos.

Il était particulièrement compétent, il ne manquait pas de jugeote et il était bel homme, Diane eut un mince sourire en y songeant quelques secondes. Et surtout sa principale qualité était sa franchise, chose que Diane trouvait quasiment essentielle outre ses multiples formations et ses multiples diplômes.

Encore une fois, aussi inutile que ce soit, je suis sincèrement désolée. Elle s’arrêta en se dirigea vers la porte, son biper émit un bruit strident qui transperça la fin de sa phrase. Elle hésita un instant à utiliser les banalités d’usage, lui souhaiter bonne journée et bon courage, puis se ravisa. Il n’avait pas besoin de sa pitié, il n’avait pas besoin de ça en plus de se sentir comme il se sentait. Elle lui tendit la main, pour lui serrer en guise d’aurevoir et ouvrit la porte de son autre main – elle se décida enfin à ouvrir de nouveau sa bouche pour lui adresser un simple : Au revoir Mr Nygård.

Il n’y avait rien de plus à ajouter, car le mal était fait.