Diane "Dina" Needham

Le physique qui me différencie
Sous la blouse blanche et le pantalon de la même couleur, taillée de façon informe mais pratique et dans un tissu peu confortable, on devinait néanmoins la silhouette. Une silhouette mince, soulignée de jolies courbes féminines. Une silhouette haute, pour une femme, avoisinant le mètre soixante-dix-huit pour soixante cinq kilos. Une silhouette normale, rien ne la distinguant vraiment d’une autre, une femme parmi les autres – ni déesse, ni démon. Plus jeune, elle avait beaucoup complexé sur sa poitrine, qu’elle trouvait bien plus petite que celle de ses camarades du même âge – aujourd’hui elle est heureuse de constater dans le miroir que la taille qu’elle trouvait minime est en réalité raisonnable. Ses hanches arrondies portent un poil de gras, mais son ventre est étrangement plat – mais elle sait que quand elle s’assoit, comme toute femme et être humain en bonne santé, elle a de légers bourrelets. De longues jambes musclées par les heures passées debout, longues et fuselées, léger complexe sur ses cuisses qui se touchent, elle rase ses jambes de façon quasimment obsessive, à tel point que quelques cicatrices de rasoir ornent sa peau diaphane – il y a aussi trace de vergetures cicatrisées sur ses cuisses et son abdomen.

De silhouette, Diane est une jolie femme, classique et complexée, normale. De visage, c’est une autre histoire et son reflet dans le miroir ne saurait mentir. Elle a un joli visage, avec une aura particulière, de grands yeux verts et une bouche pulpeuse qui cache des dents parfaitement entretenues. Elle a les cheveux noirs, coupé courts mais dans un style résolument féminin, ils sont plutôt épais, plus jeune elle les portait longs. Ses sourcils sont fins et étrangement expressifs, lui donnant tantôt un côté mutin, tantôt un côté naïf. Ses pommettes hautes et son menton pointu parachèvent le tout. Diane préfère ses yeux, elle adore leur couleur chartreuse et trouve que par le regard on exprime parfois bien plus que par les mots.

Diane aime le noir.
Non pas que ce soit un style de vêtement particulier qui l’attire, elle aime simplement le noir. Elle le porte donc en toute circonstance, tant et si bien qu’elle semble sortir d’un cimetière – auquel elle aurait assisté à une inhumation. Col roulé et pantalons moulants – qui entravent moins ses mouvements, longue jupe crayon ou robe de soirée, tout serait noir et abyssal chez Diane. Elle porte un style moderne et simple, emprunté d'une pointe d'élégance mais sans se montrer ostentatoire. Cependant, fait intéressant à noter, c’est que ses bijoux sont blancs, ou argentés à la rigueur, mais diamétralement opposé aux étoffes de ses vêtements, elle en porte peu dans son métier mais se l’autorise parfois, même si elle compte rester enfermée chez elle - il lui est déjà arrivé de dormir avec ses boucles d'oreilles.

Diane n’aime pas l’entendre, mais elle est belle – pas forcément comme on l’entend, mais à sa manière, elle est belle. Pas forcément comme elle le voudrait, mais elle est belle, à sa façon, avec son charme et sa démarche de chat. Son grand sourire ou son air ingénue, ses sourcils froncés et la concentration qui tire ses traits, quand le chagrin la dépasse et que ses yeux verts s’embuent de larmes.

Mais Diane n’aime pas l’entendre, alors on a fini par ne plus le lui dire – en espérant secrètement qu’elle le constate dans le reflet de son miroir.

Le psychologique qui m'habite
Dans la mythologie grecque, Diane est décrite comme la Déesse de la Lumière et du Monde Sauvage, vue également comme triple déesse avec Luna et Hécate, mais dont on retient surtout Diane comme déesse de la chasse, Diane Chasseresse donc – qui n’est pourtant que l’une de ses représentations secondaires.

Ce que notre Diane chasse, c’est le malaise chez l’autre, comme condamnée à panser des blessures pour ignorer les siennes. Le Syndrome du Docteur, comme l’appelle affectueusement sa mère. C’est symptomatique, l’envie de soigner, de panser, de ramener à la vie, c’est pour ça qu’elle est devenue médecin à la base – sauver les gens autour d’elle. Loin du classique médecin de famille cependant, Diane travaille où se rencontrent le pire et le meilleur : au service des urgences – de nuit. Diane a choisi la nuit par défiance, par envie et par logique. Incapable de se battre, d’être utile ailleurs dans cet étrange combat entre l’humanité et les créatures, elle préfère soigner quiconque se présenterait dans l’hôpital ou elle réside. Il lui arrive d'être de jour lorsqu'elle est de garde, durant vingt-quatre heures elle commence un matin à huit heure et se termine le lendemain matin à la même heure.

Diane pourrait se targuer d’avoir une grande patience – limitée comme tout un chacun, mais bien plus vaste que la normale. Capable d’encaisser sereinement les pires insultes, même si moralement elle le prend effectivement mal, elle se montre toujours souriante, douce et paisible. Mais elle ne s’en vante pas, sa grande humilité cache en fait une profonde anxiété – une peur de l’échec qui finira par la ronger au fil du temps. Peur de ne pas être digne, de ne pas être assez bien, peur de ne pas assez en faire pour ses patients. Compréhensive, elle sait écouter, car parfois soigner c’est écouter les patients, même si on maintient la moitié de leurs organes manuellement dans leur abdomen – quoi que dans ce cas précis on préfère l’anesthésie. Absolument pacifique, calme et sereine elle est néanmoins capable de terribles colères et d’incroyable sursaut d’énergie lorsque l’urgence s’en mêle – mieux vaut alors ne pas se tenir entre Diane et la Mort, car ce sera entre elle deux uniquement.

Diane sait être forte, Diane sait être butée, quand ça lui tient à cœur elle ronge son os jusqu'à en faire de la poussière, quitte à souffrir terriblement si elle échoue, quitte même à souffrir si elle réussit.
Elle ronge autant que ça la ronge elle-même, pauvre femme.

Rongée donc par une anxiété pathologique, peur de voir mourir ses patients et de ne rien pouvoir faire, elle est pourtant étonnement calme d’apparence, contenue, pleine de calme elle sert l’éternel et sempiternel couplet sur la Mort à des familles brisées. Pour en secret pleurer à chaudes larmes dans les entresols de l’hôpital, dans une cage d’escalier – ou aligner cigarette sur cigarette. Elle a de légère tendance à s’alcooliser une fois chez elle, elle estime que ce n’est rien de grave, on pourrait y voir un alcoolisme s’installer. Elle s’accorde ces moments ou elle relâche la pression quand elle sent que c’est trop fort mais embouteille tout cela quand elle travaille – elle n’a aucune difficulté à cacher physiquement qu’elle va mal, même si cela transparaît souvent.

Épaules tombantes, œil humide et coin des lèvres tressautant sont autant d’indices sur son malaise que sur sa souffrance. Elle n’aime pas les bruits forts, mais a appris à contrôler ses sursauts pour les rendre quasiment invisibles pour un œil non averti, elle n’aime pas la solitude mais s’y complait joyeusement, elle reste humble en toute circonstance mais recherche maladivement la reconnaissance de ses pairs. Claustrophobe, elle prend rarement les ascenseurs et explique qu’ainsi elle ne restera pas coincée dedans s’il devait tomber en panne – la plupart de ses collègues ont vu à travers ce stratagème mais n’en disent trop rien.

Ses talents résident dans la suture et le nettoyage des plaies difficiles, appréciés par ses collègues elle est aussi particulièrement rassurante mais se calquera toujours sur son patient. S’il fait preuve de cynisme elle en fera aussi et inversement, elle est capable de tenir tête mais ne se force jamais. Surtout elle ne souhaite pas blesser qui que ce soit, ce n'est pas son but et elle sait trop bien ce que cela peut faire d'être blessé comme cela. Elle trouve cela presque pire que d'être blessé physiquement, car les maux de l'âme sont les plus difficile à traiter. Partisane d’un espoir de vie en paix, de communauté unie autour de l’éducation des jeunes et loin des aspects les plus négatifs de la vie, elle sait néanmoins que sa vision des choses est naïve – mais qu’elle reste sa principale raison de rester saine d’esprit. Diane ne hait pas, parce que haïr c’est se trahir soi-même, mais comme tout humain normalement constitué, elle a peur. Peur de ces puissances, peur de ces gens qui soudainement se révèlent et œuvrent au su de tous, peur de les rencontrer et de mourir, peur de bien des choses en somme.

Le passé qui m'a construit
Anciennement Great St Anne's Lane, bordure de Devil’s Acre au dix-neuvième siècle, St Ann Street est le lieu de résidence de Fiona Needham, une infirmière solitaire et malheureuse qui vit son cœur enfler de sentiments inconnus et inespérés quand elle rencontra Jude Harris. L’homme se montra charmant, prévenant et d’une douceur que Fiona, issue d’une famille maltraitante, n’avait jamais connu. C’est assez naturellement qu’elle tomba donc enceinte des œuvres de ce bon Jude.
Car Diane Needham est née Diane Harris, reconnue par son père – ce qui ne l’empêcha pas de quitter la famille un soir de novembre pour ne plus jamais y reparaître par la suite. Et cela poussa Diane à changer de nom dès que la loi le lui permit, il avait suffi de son acte de naissance, de celui de sa mère et de plusieurs lettres avant d’enfin obtenir audience pour justifier reprendre le nom de sa mère.

Diane avait sept ans, quand elle a vu pour la dernière fois son père, qu’elle tient encore aujourd’hui pour responsable d’une grande partie des malheurs de sa famille. C’était une petite fille timide, rondouillarde et boutonneuse, avec ses grands yeux verts et ses lunettes. Si vous l’avez connue enfant, vous la reconnaitriez peut-être à ses yeux, mais il est plutôt probable que vous ne la reconnaissiez pas en vérité. Jusqu’à ses seize ans, elle fut le vilain petit canard de ses études, trop grande, trop ronde, trop banale – pas assez normale cela dit pour ceux qui la piquait au vif tous les jours. Fiona essaya tant bien que mal de tenir sa fille, complexée, dans le droit chemin et y parvint par miracle au prix de sa santé – chose que sa fille se pardonnerait difficilement au fil des années.

Dans son quartier, elle était une petite fille discrète, normale, rien à signaler de précis.
On se moquait gentiment de son poids, de ses bonnes joues et de ses grands yeux myopes. C’est pour cela qu’à seize ans et malgré le manque d’argent, Diane supplia sa mère de passer aux lentilles, ce qu’elle accepta – bien des années plus tard elle se fit opérer de sa myopie afin de ne plus porter de lunettes. Elle entreprit un régime drastique lorsqu’elle avait dix-sept ans, elle l’entreprit toute seule en limitant son apport de nourriture et en s’inscrivant sur ses salaires de job d’été dans une salle de gymnastique. Pour les jobs d’étés, ils se limitaient à vendre des livres dans une librairie sur Trinity Street, cela lui avait rapporté juste de quoi payer l’abonnement. Elle a beaucoup souffert durant cette période, sa perte de poids fut bien plus lente que ce qu’elle avait espéré, mais en quelques années la petite rondouillarde boulotte devint une mince jeune fille méconnaissable qui décida du jour au lendemain de couper ses cheveux. Oh pas de beaucoup au début, de ses hanches ils lui arrivèrent bientôt dans le dos – c’est au fil de ses années d’internat qu’ils raccourcirent encore.

Le vilain petit canard devenu cygne se destinait à devenir infirmière, comme sa mère – sa mère en observant les résultats scolaires de sa fille l’informa qu’elle pouvait aller beaucoup plus loin si elle le désirait. Et comme elle le devait à sa mère, comme à tout personne blessée dans ce monde, elle voulu se diriger en psychologie. Ce fut un échec cuisant qui la ramena à la réalité, elle passa alors avec succès une première année en médecine qui lui confirma ce qu’elle savait – elle ne craignait ni le sang, ni la souffrance, elle voulait simplement alléger ce poids chez les autres. Elle ne voulait pas devenir prix Nobel, ou inventer une technique de chirurgie fascinante, elle voulait être au cœur des problèmes, de la souffrance, alors c’est en traumatologie qu’elle fit ses premières armes avant de finir son internat aux urgences.

Ce fut couronnée de succès qu’elle obtint son diplôme.

Pour ce qui était de sa vie personnelle, la jeune trentenaire la voyait d’un œil maussade.
Une passade amoureuse qui dura tout de même deux ans ne lui offrit qu’une cruelle déception – l’homme la délaissant pour une magnifique étudiante en art, usé par les complexes de Diane et par son entêtement. Il avait compris qu’être lui-même médecin ainsi que sa compagne ne laissait que peu de temps au couple pour s’épanouir. Diane tenta tout pour le retenir, restaurants, nuits torrides, sorties à deux, cadeaux laissés sur l’oreiller et discussions à cœur ouvert. Avant de finalement réaliser qu’il valait mieux le laisser partir – c’était peut-être ça le pire, dans le fond peut-être qu’à cette époque elle l’aimait encore assez pour le libérer.  

Sa mère l’inquiétait aussi. De plus en plus mince, de plus en plus faible, Fiona Needham avait besoin de soins, profitant de son confortable salaire de médecin, Diane fit faire à sa mère tout un tas d’analyses et d’examens qui furent sans appel – Fiona avait un cancer généralisé. Oh elle pouvait encore tenir quelques années, mais pas bien plus et quand Diane eut trente ans, elle fut hospitalisée – ça fait un an qu’elle est hospitalisée Fiona, son état n’ira plus en s’améliorant, sa fille lui rend visite presque tous les jours car elle est l’une des rares personnes à savoir lui botter le train.

Et ça aussi elle le fit tomber sur le dos de son père absent, considérant que l’abandon avait brisé sa mère autant qu’il l’avait brisé elle. Si elle devait le revoir, elle l’ignorerait sûrement – mais il est bien plus probable qu’elle le gifle et lui hurle à la figure tout le mal qu’elle pense de lui. Il fallait qu’elle ronge un os, et son père était un parfait os – les absents ont toujours tort.

Lors de ses trente-et-un ans, la jeune femme compris qu’elle n’était plus si jeune – le choc de voir sa mère si réduite avait aussi aidé à voir la réalité en face. Célibataire endurcie qui sortait très peu en dehors de son travail, elle commença à se laisser entraîner dans des bars et des fêtes nocturnes quand elle ne travaillait pas. La journée Diane dort, comme la Lune que son nom rappelle parfois à ceux qui ont étudié la mythologie – et elle a le sommeil assez lourd mine de rien. Encore complexée par son physique et incapable de se voir correctement dans un miroir – par peur plus que par traumatisme, la jeune femme ramène rarement un coup d’un soir, même si ça lui est arrivé.

Diane vit donc la parfaite vie d’une femme trentenaire à la dérive prochaine, proche de basculer dans l’alcool, proche de basculer dans le vide, elle joue comme à son jeune âge au dangereux jeu de l’équilibriste, sur une poutre rongée par ces créatures qui hantent ses cauchemars.