Sibyl Cunningham

Les plus belles fleurs sont souvent les plus mortelles
Que remarquerez-vous donc en premier, lorsque vous croiserez la route empourprée de la Lady des Cunningham ? S’agira-t-il de ses long cheveux ondulés, plus noirs encore que le corbeau qui orne son blason ? Ou la finesse de ses traits, les courbes vertigineuses de son corps à peine masqué par une garde robe très bien étudiée, que tant d’hommes se sont perdus à vouloir approcher, lorsqu'ils n'étaient pas suffisamment intimidés par sa posture parfaite, vestige d'une vie à devoir, à tout prix, se maîtriser ? Ou bien la chevalière en argent, ornée d'un corbeau et de feuilles de chêne, qu'elle s'est évertuée à vouloir porter autour de son cou délicat pendant des dizaines d'années, alors même qu'elle lui brûlait les chairs, et qui fait aujourd'hui sa fierté, trônant sur l'une des deux mains les plus expertes qui soient. Ce seront peut-être ses lèvres rondes et délicates, rougies de son dernier péché, dévoilant deux canines blanches et aiguisées dans un sourire insolent, annonciateur du prochain.

Lui, la première fois, n’avait pas vu tout ça. Tous ces sublimes pièges accordés par la Nature, le hasard ou le Diable, et qui faisaient de Sibyl un chasseur redoutable.

Non, rien de tout ça.

Lui, avait remarqué ses iris qui déchiraient la nuit. Ses deux puits d’ambre et de miel autour desquels flottait un cercle d’amande, derniers vestiges de sa vie d’être humain, et elle l’aimait pour cela, même si ces mots ne franchiraient sans doute jamais ses lèvres.

Elle aimait la façon qu’il avait de se pencher dans sa direction, lui qui la dominait de quinze bons centimètres, aveugle qu’il était du festin irrésistible qu’il représentait, ou conscient, certainement, du fait que jamais elle ne le blesserait.

Maintes fois cependant, elle avait été tentée, par cette gorge dissimulée sous  quelques mèches blondes, puis, pour son plus grand plaisir, argentées. Cette sublime gorge qui ne pouvait vraiment dissimuler le sang qui accourait dans ses veines alors qu’elle s’approchait, qui pulsait contre sa peau lorsqu’elle laissait courir ses doigts blancs et froids sur sa nuque, partageant, l’espace d’un instant, un frisson discret.

Oh, comme lui, quelque chose vous frappera. Comme lui, vous finirez par l’approcher, cette troublante et fascinante femme au sang froid, seule dans cette ruelle noire.

Mais pour vous, cette nuit là, l’implacable piège qu’est Sibyl Cunningham se déclenchera.

Chercher un souffle de vie
A bien des égards, Sibyl est une créature de la nuit. Passé les soirs de chasse, son sang d’enfant des années folles se met à bouillir, et rien d’autre que la fête ne saurait le calmer. Arpentant les clubs et pubs de Londres, ses soirs chanceux avec William à son bras, elle se remémore sa vie intense et regrettée dans la belle Chicago, un verre de whisky ou une poche de sang à la main et une chanson sur les lèvres. Ces nuits-là, elle est la Vie, indomptable, qu’on lui a volé trop tôt, et rien ne saurait arrêter sa soif de liberté, de rébellion, qu’il s’agisse des conventions sociales, d’un horaire de fermeture, ou d’un panneau « danger ».

Les soirs de chance, on peut observer sa conscience, à la fois sa force et sa faiblesse, faisant scintiller ses cheveux d’argent dans un hochement de tête désapprobateur, et il arrive alors, parfois et à contrecœur, que l’intrépide Sibyl finisse par se raviser.

Mais les autres nuits, les nuits de chasse, la vampire se laisse emporter. Par la rage, la peine ou la pitié, elle ne saurait sans soucier, alors qu’elle laisse libre cours à la sauvagerie de son espèce et qu’elle devient la Mort, brûlante d’émotion.

Car c’est bien cela qui la perdra. L’émotion, traîtresse qui la ramène auprès de sa famille, riant et tournoyant dans sa robe perlée, ou auprès de son bourreau, pleurant et hurlant sous la faim et la douleur. L’émotion d’un passé qui ne reviendra jamais, et qu’elle ne laissera jamais revenir.

C’est peut-être sa recherche quasi obsessionnelle d’émotions et sa peur secrète d’être dupée qui lui a permis de développer ce talent qui fait d’elle une antiquaire hors pair. Quoi de mieux pour s’assurer de l’authenticité d’un objet que de pouvoir apercevoir la vie de son ancien propriétaire ? Ses flashs ne durent qu’un bref instant, et ne se déclenchent pas sur des êtres vivants, ou quasi vivants, mais lui permettent de discerner les raretés des bonnes copies.

Sybil ne distingue finalement que trois types de personnes. Les chanceux épargnés du monde, les victimes, et les bourreaux. Sachant d'expérience que le bourreau peut se cacher dans toutes les espèces, elle ne fait pas de distinction entre ces dernières, accueillant lors de ses expositions nocturnes tout loup, vampire ou être humain féru d'histoire, de vieux trésors, et d'aventures...
Depuis son arrivée à Londres, la vampire observe les divers clans à distance, d'un oeil intrigué et méfiant. Cependant, portée par les ambitions de son protégé, elle pourrait céder à la tentation de se mêler de leurs affaires.

Qui est Sibyl Cunningham ? Une tempête qui vous emporte avec elle, dans un tourbillon de joies sans limites ou dans les pires tréfonds des abysses, qui n'accepte aucun maître et qui n’accorde aucun intérêt aux clans, aux espèces, à leurs guerres et à leurs paix. Pourvu que demain, sous la Lune, le monde danse à nouveau.

Et finalement, tout passe, même la mort
Sibyl est née lors de l’été 1909, dans le sud ouest de l’Angleterre, où son père, le Duc de Cunningham, dirige la région et sa famille d’une main aimante, noble, et conservatrice. La petite fille, puis l’adolescente, encouragée par ses lectures à sans cesse questionner « ce qui se fait », ne supporte pas l’injustice, et les ronds de jambes inutiles. Ainsi, en 1925, ses idées progressistes font un peu trop figure de sujet incontournable dans les soirées mondaines, et son père est contraint, pour protéger la réputation de sa fille de seize ans, et pour redorer l’image de sa famille, de l’envoyer chez sa tante, en Amérique.

Les années folles sont un paradis pour Sibyl, qui profite pendant quatre belles années de l’ambiance survoltée de Chicago et des fêtes sans fin. En 1929, la jeune femme voit s’écrouler l’économie, mais la famille Cunningham et son empire immobilier souffre très peu de la crise.

Désireuse de ne pas rester à rien faire alors que le reste de la population croule sous la pauvreté, et inquiète de l’avenir des Cunningham, elle décide d’étudier l’économie et la gestion, faisant par la même occasion un pied de nez à la tradition familiale, qui la pressait de trouver un mari et d’abandonner ses rêves d’érudition, ce qui lui faisait l’effet d’une condamnation à mort.

Elle resta à Chicago, ville qui l’avait tant fait rêver, danser, aimer.
Jusqu’en 1935, où des nouvelles peu rassurantes lui parvinrent d’Europe et la décidèrent à rejoindre sa famille.

Elle ne quitta jamais la ville.

La veille de son départ, Nathan la trouva.

Il était si beau, si persuasif. Elle était seule et inquiète, mélancolique à l’idée de quitter l’Amérique. Il était rassurant. Il avait un regard qui faisait mille promesses, et elle ne vit pas le sourire qui annonçait la seule qu’il allait tenir.

Ce soir là, Sibyl perdit la vie, et dans les mois qui suivirent, le reste.

Nathan n’était pas un mentor. Il n’était pas un amant. Nathan était un bourreau, et elle était son défouloir, son jouet, son expérience. La faim trop fréquente, les sévices physiques, sexuels et mentaux n’eurent pas raison de la volonté de la jeune femme, et un matin, elle brava l’aube dans une course contre la mort, et s’enfuit.

Elle apprit plus tard que Nathan ne l’avait pas cherchée, et s’était contenté de disparaître. Aujourd’hui encore, elle savoure l’idée de le retrouver, et de le mettre en pièces.
Lorsqu’elle eut repris un certain contrôle sur sa vie, la guerre faisait rage en Europe, et elle prit le premier bateau disponible. Là, elle suivit les champs de bataille, là où la disparition d’un ou deux soldats ne soulèverait aucune question.

Enfin, elle rentra chez elle. Ou plutôt dans ce qu’il en restait. Son père était décédé, et la succession restait pendante. Son retour bien qu’étrange arrangea les affaires de tout le monde. Elle récupéra les titres et la richesse de sa famille, mettant à l’abri du besoin les prochaines générations et arrangeant un habile montage pour garder son héritage au fil des années.

Elle passa un peu de temps en Ecosse, à rire de l’ironie de châteaux réputés hantés alors que les touristes disparaissaient en sortant des pubs. Les décennies s’écoulèrent sans qu’elle n’ait plus à s’inquiéter pour sa vie, son nom la protégeant lorsque ses canines devenaient inefficaces. Elle cultiva sa passion pour les vieilles choses, et ouvrit quelques boutiques d’antiquités qui ouvraient parfois la nuit.

Et un jour, elle le rencontra.

Ce fut rapide, mais elle sut.

Il serait à ses côtés, ce garçon abîmé aux yeux assoiffés.

Alors, lorsqu’elle fut sûre de sa loyauté, elle ôta la lourde chevalière en argent de son père qui pendait à son cou, et la lui abandonna.

Jusqu’au jour où, enfin, il la retrouva.