Draïl est... perdu?

"Draïl Louis Owalers! Si tu ramènes pas ton cul de loupiotte, je te jure que je te bouffe les oreilles ! Hurle un de mes frères du haut de l'escalier.
-Langage, Isaac! Hurle directement ma mère.
-Mais il a pété ma raquette de tennis!
-Même pas vrai!
-On se calme!"

La voix de ma mère est devenue tout de suite plus froide. Et je ne peux qu'obéir, tout comme Isaac qui vient d’apparaître dans le salon. Maman a les yeux qui luisent d'une lueur bizarre et on est pas assez con pour pas savoir ce qui nous attend si on continue. Une sacré raclée. Et ça, ça se passe tous les jours. J'ai une vie assez banal : les cours, la bouffe, les devoirs, la famille. Mais faut ajouter à tout ça les pleines lunes. Et la pleine lune, c'est ce soir. Donc toute la famille est sur les nerfs et se prépare. On prépare la cave pour retenir les plus jeunes, on sort les chaines. un fumet de viande fraîche envahit le salon. Je fourmille toujours d'excitation ces jours-là. Je n'ai que 13 ans, je ne me transformerai pas avant quelques années probablement. Mais j'ai hâte. Parce que pour l'instant je suis le seul de la famille. Et ouais, toute ma famille est composée de loups - bon, y a un renard dans le lot mais on sait pas d'où il sort. Maman est l'alpha d'une meute assez discrète, mais c'est pas pour ça qu'elle n'est pas grande. Rien qu'avec mes frères et soeurs, on est huit. Ajoutez à ça, les loups s'étant ralliés à notre meute et le reste de la famille un peu plus éloignée. Mais tout le monde à sensiblement dans les 100 ans.  Sauf moi. Je suis un louveteau parmi les grands.
Lorsque la nuit commence à tomber, les plus jeunes sont attachés et même les grands loups finissent par s'enfermer dans des pièces isolées, au cas où. Il n'y a que moi qui soit libre de me balader. Je vais veiller toute la nuit, c'est mon rôle. Vérifier que rien ne dégénère. Mais au moment où je sors de la cave pour refermer la porte, une violente douleur me fige. Mes os me brûlent, j'ai l'impression d'étouffer, que ma cage thoracique a décidé de sortir de ma peau. Je vois comme dans un brouillard un de mes frangins hurler. Puis, je n'entends plus rien, je ne vois plus rien, je ne sens plus rien. Est-ce que je suis tombé? Je sais pas. J'ai mal. J'ai mal. Putain, j'ai mal. Je sens mes propres mains commencer à déchirer ma peau, pour essayer de libérer ma poitrine du poids atroce qui s'y est posé. Il fait chaud. Mes pieds se déchirent. Je me contorsionne alors que j'ai l'impression que l'on vient de me couper la colonne vertébrale en deux. Ma tête rencontre violemment le sol. J'ai mal. est-ce que je respire? Je sais même pas. Puis brutalement, ce ne sont plus des ongles qui griffes ma peau. Mais des griffes. Cette nouvelle douleur me fait recouvrir la vision. Je vois mille fois mieux. Je découvre avec une étrange fascination les visages mi-lupins terrorisés des membres de ma meute, de ma famille. J'entends aussi. La course poursuite dans les escaliers. Maman. Je sens. Et je crois que rien que toutes ses odeurs pourraient me faire m'évanouir. Je sens la peur, le stress. L'urine. Tiens, je pourrai me foutre de la gueule d'Isaac plus tard. La douleur reprend. Je tombe à quatre pattes. Et je sombre sur l'image de ma mère avec les yeux luisant et une gueule pleine de crocs. Et un air terriblement inquiet.


J'ai mal à la tête. La lumière agresse mes yeux. Je grogne. J'ai la voix cassée. Pourquoi j'ai pas fermé les volets hier soir? J'essaye de poser mon bras sur mes yeux. Mais seul un bruit de chaîne répond à mon mouvement. J'ouvre les yeux brutalement. Je suis entravé. Je suis nu, assis sur une chaise et enchainé au mur derrière dans une sorte de hangar. Et j'ai froid. Et mal partout. Tout me reviens brutalement. Ma première transformation. Si tôt? Je m'agite. Où est ma famille? Que s'est-il passé exactement? Je ne me rappelle de rien.

"Le loupiot est réveillé."

C'est la voix fatigué d'un béta de la meute qui crie ça. Une porte s'ouvre. Putain, que la lumière est violente. Je plisse des yeux avant d'être rassuré par l'odeur de ma mère qui envahit mes narines. Mais cette odeur est teintée de sang. Je déglutit. Qu'est-ce que j'ai fais? Est-ce que j'ai libéré un des frangins et il a fait des dégâts? Est-ce qu'ils n'ont pas osé me mettre à terre?

"Ouvre les yeux, petit prince.
-M'appelle pas comme ça, m'man.
Si tu as la force de râler, tu as la force d'ouvrir les yeux."

J'obéis. Elle est à moitié couverte de sang. Ses mains, ses lèvres. J'ai envie de pleurer. Je sais que ce n'est pas le sien. Mais je n'aime pas ça.

"Qu'est-ce qu'il s'est passé?
-Tu as été plus compliqué à maintenir que prévu.
-Pourquoi?
-Un loup de 13 ans ne devrait pas être aussi rapide. Un loup de 13 ans, c'est déjà bien assez rare."

Elle me caresse la joue et je m'y frotte par réflexe.

"Tu te sens comment?
-Comme une merde.
-Langage.
-Désolé. Mes poignets et mes chevilles me brulent."

La honte emplit son regard. Et je comprends pourquoi ces chaines font si mal même si je ne tire pas dessus. De l'argent. Ils ont été obligés de me maintenir avec de l'argent.

"J'ai blessé qui?
-Ne t'inquiètes pas, ils guérissent.
-Maman!
- Tout le monde, chéri.... Sauf Ysria, c'est elle qui t'as attrapé."

Ysria est ma soeur ainée. On a 140 ans d'écarts. Et elle me fait un peu peur. Mais je l'aime encore plus à cet instant. Ysria est très puissante. Et elle succédera probablement à Maman le jour venu.

Un bruit de pas me fait redresser la tête. Isaac et Sara, une de mes soeurs, entrent. Elle le guide, je crois. Je ne vois pas trop avec le contre jour. Mais je sens Maman se figer. Elle s'éloigne, des larmes aux coins des yeux. Et Isaac s'agenouille devant moi. Et je pleure. Je pleure parce que du sang macule encore ses joues. Je pleure lorsqu'il enlève le bandage. je pleure lorsque je comprends que même en étant un loup, jamais cela ne guérira. Je pleure lorsque je comprends que j'ai arraché les yeux de mon frère.


Ce jour restera gravé à tout jamais dans ma mémoire. Je ne me contrôle toujours pas, même si cela fait dix ans. A chaque pleine lune, on m'attache avec de l'argent dans le hangar.Pour ma seconde transformation, j'étais avec tout le monde. J'ai arraché les chaines et mordu plusieurs des bétas qui étaient là. Alors maintenant, on m'éloigne de tout le monde. La meute ne m'en veut pas mais moi, si. Chaque fois que je vois Isaac se prendre une marche qu'il a oublié, chaque fois que je le voit porter des lunettes de soleil en ville, chaque fois que je me rappelle que j'ai détruit une partie de sa vie, j'ai envie de me tuer. Mais Isaac me l'a interdit. Il m'a demandé de sourire. Il dit qu'il peut me sentir sourire, et je le crois. Maintenant, il a les sens les plus affûtés de la région. Alors je souris tout le temps, parce que il m'en donne le droit alors qu'il pourrait me haïr.
Je suis à l'aéroport avec ma famille. J'ai dis au revoir au reste de la meute un peu plus tôt dans la journée. Je vais à Londres. Maman m'a dit qu'il fallait que je fasse attention, que je devais trouver un bon endroit où m'attacher les soirs de pleines lunes. Qu'il ne fallait pas faire confiance aux étrangers et que je devais faire attention à ne pas me nourrir exclusivement de caramel et de spéculoos. Elle ne veut pas que je parte, mais je n'ai pas le choix. Ysria, ma soeur aîné, est partie réglé une histoire à Londres, il y a six mois. Et elle a disparut. Elle est la plus puissante de la meute, probablement la futur alpha. Je suis le dernier des bétas, le louveteau du groupe. Alors si je meurs en allant la chercher, ce n'est pas grave. Ma mère ne veut pas mais les autres sages de la meute sont d'accord avec moi. Alors je pars, pour retrouver ma soeur mais aussi pour m'éloigner d'eux, que je peux blesser à tout instant.
Je passe le portique de sécurité. Londres, me voilà.